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François THOLLOT : Ceux d'en Face

Pour un musicien, œuvrer dans le créneau des musiques progressives est un défi à bien des égards. Non seulement la probabilité est très faible d'obtenir un retentissement à la hauteur de l'effort investi mais la concrétisation de l'acte créatif s'apparente bien souvent, en elle-même, à un parcours du combattant. Le premier album de François Thollot est, de ce point de vue, une sorte de cas d'école. En effet, ce jeune Lyonnais n'a pu compter que sur lui-même pour mettre en son ses idées musicales. Sur "Ceux d'en Face", il fait tout : composition, production, et exécution instrumentale. Et dans ce dernier cas, il fait bien plus que le commun des multi-instrumentistes : guitariste au départ, il assure également la basse, mais aussi les claviers et, encore plus surprenant, la batterie. Tout cela sans filet, c'est-à-dire avec un matériel analogique et somme toute rudimentaire (cf. entretien), ne permettant pas la moindre retouche a posteriori. Guère étonnant, dans ces conditions, que l'enregistrement se soit étalé sur près de neuf mois. Si Thollot n'a pu constituer autour de lui, comme il l'aurait souhaité, un véritable groupe, ce n'est qu'à moitié surprenant, dans la mesure où le style musical qu'il honore n'a, en France et ailleurs, qu'un nombre limité d'adeptes. En dépit d'un parcours qui l'a vu passer par le rock progressif "classique", c'est clairement dans l'école Rock In Opposition que Thollot a finalement décidé de se positionner, au confluent des rythmiques surpuissantes de Magma, des stridences guitaristiques de King Crimson et des arabesques pianistiques obsédantes de Présent, groupe avec lequel il affiche la parenté la plus évidente. Totalement instrumentales, les sept compositions de Ceux d'en Face affichent des durées plutôt homogènes (entre 4:30 et 6:30, à l'exception du morceau final qui atteint les 12 minutes), une esthétique d'ensemble très cohérente, mais aussi une certaine variété. Le fondement du discours de Thollot est assurément rythmique : c'est dans la profusion des différents motifs bâtis par le trio piano-basse-batterie, que chaque pièce puise son relief, et non dans des thèmes mélodiques. Cet intérêt pour les contrastes et expérimentations rythmiques s'exprime du reste au grand jour dans le ludique "Vingt-Trois", exercice de style bâti en grande partie, et comme son titre l'indique, sur un cycle en 23 temps, subtilement "habillé" par les différents instruments de manière à conjurer l'impression d'irrégularité provoquée sur nos oreilles trop habituées aux sempiternelles mesures à quatre temps. Ce jeu sur les métriques se traduit sur la plupart des morceaux par de constantes cassures de rythme, qui introduisent non seulement une salutaire variété mais aussi, plus subtilement, finissent par instaurer (justement par leur caractère incessant) une sorte de "fluidité", paradoxale pour le coup, et particulièrement évidente lorsque la guitare s'exprime en soliste pour tisser des mélodies sinueuses, survolant avec une aisance déconcertante ce tapis rythmique perpétuellement instable. Ce renouvellement structurel n'exclut pas une tendance, fréquente dans ce style musical, à œuvrer sur un mode plus répétitif, par le biais de cycles rythmiques irréguliers, sur lesquels se greffent des lignes de basse et des motifs de piano répétés de façon obsessionnelle, jusqu'à obtenir un effet de scansion déstabilisante et hypnotique. L'utilisation quasi-exclusive, au niveau des claviers, du piano acoustique (une intervention au - simili ? - vibraphone sur "Enilek", et quelques nappes lointaines de synthé ou de Mellotron (?) à l'occasion, étant les seules exceptions à la règle), ajoute à la noirceur solennelle des atmosphères. Non que la dissonance soit systématiquement de mise : un morceau comme "Marilyn-Antoinette", avec ses arpèges de guitare cristallins, exploite une veine plus "harmonieuse", tandis que les envolées solistes du bien-nommé "Expérimentations Sentimentales" ne manquent pas d'un certain lyrisme, dans les limites autorisées par le genre cependant. De même, le caractère parfois oppressant des architectures rythmiques et harmoniques conçues par Thollot se trouve contrebalancé par un réel souci de variété climatique. C'est particulièrement le cas sur "Voyage Au Bout De La Nuit" (12:15), suite conceptuelle (?) inspirée manifestement par les épisodes successifs du fameux roman de Céline, et dont les sous-sections sont plus clairement individualisées. Malgré un 'fade-out' final aussi soudain que frustrant, ce morceau à rebondissements dessine une direction à explorer à l'avenir, ce qui devrait être plus facilement réalisable avec un groupe au complet. François Thollot ne manque pas d'idées, et celles-ci sont suffisamment claires pour avoir été mises en oeuvre de façon convaincante sur ce qu'il présentait du reste comme une "démo" et non un véritable album avant qu'Alain Lebon, enthousiasmé, ne décide de la publier en l'état. On ne niera pas certaines imperfections (Thollot n'égale pas Dave Kerman à la suite avec curiosité et confiance.

Aymeric Leroy. BIG BANG Magazine ( Juin 2002 )

Interview:

— Pour commencer, peux-tu te présenter et nous raconter ton parcours musical jusqu'à la réalisation de ce premier album ?

— J'ai 28 ans, je suis lyonnais. Mon parcours musical est plutôt inexistant (!), dans le sens où les divers projets de groupes auxquels j'ai participé n'ont jamais fonctionné très longtemps, et ceci pour diverses raisons, qui vont de mon associabilité, à la difficulté de toucher les gens lorsque l'on fait ce type de musique, en passant par les habituels problèmes d'ordre matériel, etc. J'en suis donc venu à envisager d'enregistrer ma musique tout seul, et c'est devenu une sorte de challenge.

— Tes influences se situent clairement du côté du courant avant-gardiste du progressif, et particulièrement de groupes comme Magma ou Présent. Avant d'en venir à ces musiques, es-tu passé par le progressif plus traditionnel ? Quelles sont aujourd'hui tes références en tant que mélomane - pas forcément seulement celles qui sont apparentes dans ta musique ?

— J'ai découvert le rock progressif avec Genesis, période 1970-77. Je devais avoir quinze ans. Après, j'ai un peu fait le tour de tous les autres groupes des années 70 : Yes, Pink Floyd, King Crimson Pour, en fait, aboutir à Magma, qui reste mon influence principale. Ensuite, j'ai écouté beaucoup de classique - Mahler, Debussy, Bach, Stravinsky - puis du jazz, Coltrane surtout. C'est après cela, ou parallèlement, que j'ai découvert les musiciens dont je me sens le plus proche aujourd'hui, c'est-à-dire Art Zoyd, Univers Zéro, les courants R.I.O. et Canterbury, Zappa, Mahavishnu.

— Tu tiens tous les instruments sur cet album, mais tu es principalement guitariste et pianiste. As-tu naturellement tendance à vouloir jouer de multiples instruments, ou est-ce le fruit des circonstances de la réalisation de cet album, notamment dans le cas de la batterie ?

— En fait, je suis beaucoup plus guitariste que pianiste. Je ne me sers du piano que pour composer et enregistrer. Sinon, je m'étais mis à la basse il y a déjà un certain temps, tout simplement parce que l'instrument m'attirait. Pour ce qui est de la batterie, j'ai appris à en jouer pour l'enregistrement, et je dois dire que j'y ai plutôt pris goût, mais ça m'a pris énormément de temps et d'énergie !!

— Peux-tu nous décrire le processus d'enregistrement, qui a dû être assez complexe ? Dans quel ordre as-tu enregistré les différents instruments ? Quel équipement d'enregistrement as-tu utilisé ?

As-tu été confronté à de grosses difficultés techniques ? De quels aspects es-tu le plus satisfait et le plus insatisfait ?

— J'ai enregistré l'album sur un magnéto 4-pistes numérique. J'ai d'abord fait le piano, la basse et la guitare sur 4 pistes, l'ordre d'enregistrement des instruments étant différent d'un morceau à l'autre, puis j'ai mixé le tout en stéréo, et donc ramené tout ça sur deux pistes. Pour finir, j'ai enregistré la batterie sur les deux autres pistes avec quatre micros, et mixé le tout sur deux pistes. Je n'ai finalement pas eu de gros problèmes techniques, sans doute parce que mon ambition, à la base, était restreinte, et que je n'ai jamais demandé à mon petit matériel plus que ce qu'il pouvait faire. Sinon, ce dont je suis le plus satisfait, c'est peut-être le mixage, qui est correct, mais il faut savoir que c'est surtout le mastering qui a été très important, puisque c'est grâce à lui que l'enregistrement sonne un minimum professionnel. Et ce dont je suis le moins satisfait, c'est le son de la guitare, qui manque d'ampleur. Là, c'est sûr qu'une bonne réverb aurait été la bienvenue.

— Pour ton prochain album, on sait déjà que tu seras accompagné d'une section rythmique invitée, celle de One Shot. Tu sembles décidément avoir du mal à trouver des acolytes permanents. Est-ce un problème de vocation ou de niveau chez les musiciens de ta région ? Espères-tu encore résoudre ce problème ? La contribution de Philippe et Daniel pourra-t-elle s'étendre éventuellement à des concerts (auquel cas il faudrait encore trouver un pianiste ou un guitariste!) ? Et à propos, comment as-tu fait leur connaissance ?

— J'ai rencontré Philippe et Daniel par l'intermédiaire d'Alain Lebon, évidemment, puisqu'il a également produit l'album de One Shot. En fait, on peut considérer mon deuxième album comme une étape intermédiaire, dans le sens où un troisième pourrait être enregistré avec un groupe au complet. C'est en tout cas le chemin que je vais suivre, mais pour l'instant, au niveau groupe, rien n'est fait, et au fond, tout est possible. Sinon, il est sûr qu'avec deux albums en poche, je devrais avoir beaucoup plus de facilité à motiver des musiciens autour d'un projet.

— Dernière question, puisque la réalisation du second album est imminente, peux-tu d'ores et déjà nous dire si son contenu sera sensiblement différent de celui du premier ? Penses-tu avoir évolué entre-temps, et à quel(s) niveau(x) ?

— Dans mes nouvelles compositions, j'ai fait en sorte de plus développer chaque idée, et surtout les mélodies, et de moins utiliser le collage. L'idée, c'est que chaque élément découle du précédent, sans discontinuité, ce qui n'empêche pas les rebondissements, genre modulation ou changement de métrique. Sinon, avec l'apport de Philippe et Daniel, l'interprétation sera forcément plus nuancée, et plus riche en terme de sentiments. Mais globalement le style reste le même, en plus personnel je l'espère.

 

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E-mail : soleilzeuhl@soleilzeuhlrecords.com